Malgré la chute de la consommation de pain, les enquêtes montrent que les Français restent profondément attachés à cet aliment. En 2021, selon un sondage de la Fédération des entreprises de boulangerie-pâtisserie, 82 % de nos concitoyens déclaraient en manger tous les jours. Lorsqu’il se trouve à l’étranger, un Français sur trois cite la baguette comme l’aliment qui lui manque le plus.
Cette relation particulière au pain trouve ses racines dans l’enfance. Un morceau de baguette est souvent un des tout premiers aliments que l’on offre à un petit pour calmer sa faim. Certains d’entre nous se souviennent du jour où leurs parents leur ont confié quelques piécettes et la responsabilité d’aller, seuls, acheter le pain chez le boulanger au coin de la rue. Le grignotage du quignon — toujours pratiqué par nombre d’adultes au sortir de la boulangerie — garde ainsi toute la saveur d’enfance de cette nourriture affective. Le rapport quasi viscéral au pain s’exprime aussi par les débats passionnés — totalement incompréhensibles pour les étrangers — dont l’objet est de désigner le meilleur boulanger du quartier ou de définir les critères d’un « bon » pain ou d’une « bonne baguette » !
Selon nous, cet attachement affectif devrait a priori perdurer… Dans un monde troublé, perçu comme menaçant et anxiogène, le pain joue encore, inconsciemment, un rôle d’aliment refuge. Par son caractère ancestral et « authentique », ancré dans une tradition plurimillénaire et dans le terroir français, le pain, même consommé en petite quantité, a une fonction de réassurance. Il est frappant de voir que, pendant le premier confinement de la Covid-19, la recette la plus partagée sur les réseaux sociaux a été celle du pain maison ! Et cela alors même que les boulangeries demeuraient ouvertes. Si une petite minorité a voulu éviter les risques sanitaires liés à un déplacement à la boulangerie, d’autres motivations se sont manifestées… Le fait de disposer de temps a permis d’expérimenter le plaisir de réaliser soi-même, et avec ses enfants, cet aliment symbolique qu’est le pain. Certains ont même créé leur propre levain naturel : dans une ambiance hautement mortifère, la fabrication d’un élément « vivant » a probablement joué, là aussi, un rôle de réassurance.
Sur un autre plan, le pain est également un support et un vecteur de lien entre les Français. En famille, le père ou la mère tranche le pain ou rompt la baguette à la main, puis en offre le morceau à son voisin de table ou à son enfant. Le pain représente le partage et le don, comme le montre bien l’étymologie du mot « copain », celui avec qui on partage le pain. Parce qu’il est présent sur la table du début à la fin du repas, cet aliment matérialise aussi la commensalité et la convivialité de l’acte alimentaire. Deux notions qui font partie des fondamentaux du « repas gastronomique des Français », inscrit en 2010 par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
L’acte d’achat du pain est lui-même un facteur de lien social. Il est effectué prioritairement par 85 % des ménages au sein d’une boulangerie artisanale de leur quartier ou village. Lors de ce rituel quotidien, le consommateur de pain y croise ses voisins, il y dépose à l’occasion une petite annonce voire ses clés. La boutique du boulanger est aussi un lieu fédérateur, où se retrouvent différentes catégories sociales et tranches d’âge.