Les ancêtres des plantes terrestres sont apparus dans un monde et sur des terrains bien remaniés par les micro-organismes. Mais ils avaient déjà des armes chimiques pour se défendre.
On pense que les végétaux terrestres actuels ont évolué à partir d’algues marines unicellulaires présentes dans les fossiles il y a 1,2 milliard d’années. Une étape primordiale a été la capture de cyanobactéries photosynthétiques par des cellules eucaryotes (possédant un noyau cellulaire) pendant l’Ordovicien (vers – 500 millions d’années), qui a donné naissance aux algues vertes. On retrouve le résultat de cette symbiose dans tous les végétaux photosynthétiques sous la forme des plastes (chloroplastes et rhodoplastes).
Revers de la médaille, la photosynthèse fournit l’énergie et les briques de base des synthèses cellulaires, mais elle produit aussi de l’oxygène qui est toxique car il dégrade de nombreuses molécules. Les cyanobactéries possédaient des défenses antioxydantes, qu’elles ont léguées à leurs descendants.
Les premiers végétaux terrestres étaient donc munis de défenses chimiques, nécessaires dans un monde occupé par les micro-organismes, pour vivre une cohabitation allant de l’indifférence à l’agression, en passant par toutes sortes de symbioses, dans les racines, les tiges, les feuilles et les fleurs. Bon nombre de ces interactions et communications s’effectuent à coups de produits chimiques plus ou moins volatils et plus ou moins odorants.
À partir de là, tout va très vite : vers – 385 millions d’années, les plantes terrestres présentent déjà leurs caractères actuels (feuilles, racines, bois ; le bois étant un haut polymère très résistant constitué d’un tannin, la lignine). Apparaissent ensuite, vers la fin du Dévonien (– 359 millions d’années), les premières graines et des forêts de grands arbres. Mais les plantes de cette époque sont des gymnospermes (du grec gymnos, « nu », et sperma, « graine »), catégorie qui comprend aujourd’hui les conifères et le ginkgo (ou arbre aux quarante écus, Ginkgo biloba). Les cônes ne sont pas des fleurs ; ils abritent l’ovule, nu, puis la graine, entre leurs écailles. La pollinisation est anémophile (ou anémogame), c’est-à-dire effectuée par le vent : faute de pollinisateurs, les conifères sont très prodigues de leur pollen qu’ils sèment à tous les vents (ce pollen qui nous fait aujourd’hui éternuer !).
Imaginez un littoral de la Pangée en ce temps-là : y sont échouées des algues dégageant un effluve appelé traditionnellement « iodé ». On devrait dire « marin » car l’iode présente une odeur métallique très différente. Cela sent le sulfure de diméthyle (un arôme sulfuré des végétaux marins), surtout les dictyoptérènes à l’« odeur de varech » et, s’il y a des débris animaux, la triméthylamine. Un « nez » de l’époque aurait pu aussi discerner du benzaldéhyde (amande) et des ionones (violette). À l’Ordovicien comme aujourd’hui, lorsque les « marées vertes » d’algues fermentent, elles émettent le sulfure d’hydrogène à partir des sulfures de méthyle. C’est un gaz qui non seulement empeste l’œuf pourri mais qui est aussi très toxique. L’humain le détecte à très faible concentration, dès 0,6 microgramme par mètre cube d’air (soit, en volume, 0,0004 partie par million, ppm). Il est toxique dès 100 à 150 ppm où il paralyse le nerf olfactif, si bien que l’on peut être victime d’un empoisonnement dès 500 ppm car le signal olfactif de danger a disparu.
Dans l’arrière-pays, des ancêtres des conifères émanent déjà des signatures olfactives plus avenantes et caractéristiques : a-pinène, β-caryophyllène, terpinène, etc. Les conifères suintent aussi une résine qui, avec le temps, deviendra de l’ambre, piégeant au passage des insectes à toutes les époques… nous offrant ainsi un témoignage de leur existence dès – 310 millions d’années.
Mais alors, qu’en est-il pour les plantes à fleurs, dominantes actuellement, dont 80 % nécessitent des pollinisateurs, et dont pourtant les fossiles ne remontent qu’à environ – 200 millions d’années (milieu du Trias) ? Ce sont des angiospermes (du grec angios, « réceptacle », et sperma, « graine »). Les insectes sont déjà présents mais peut-être a-t-il fallu l’éclatement du supercontinent Pangée (vers – 175 millions d’années) pour que les angiospermes deviennent prédominantes, avec leur foisonnement de formes, de couleurs, de senteurs. La fragmentation des terres aurait augmenté les précipitations et favorisé de nombreuses niches écologiques sous toutes les latitudes, permettant aux plantes à fleurs de coloniser progressivement la Terre, avec une forte diversification au Crétacé (– 145 à – 66 millions d’années) et au Tertiaire, ancien nom de l’ère aujourd’hui décomposée en deux périodes géologiques, le Paléogène (– 65 à – 23 millions d’années) et le Néogène (– 23 à – 2,58 millions d’années).
Outre leur alliance avec les pollinisateurs, on pense que les angiospermes ont optimisé la photosynthèse grâce à leur grande surface de feuilles. Cela augmente également la transpiration, ce qui accentue le besoin d’eau mais constitue aussi un puissant moteur de la circulation de la sève. De plus, avant la chute des feuilles, les arbres récupèrent leur contenu pour le stocker dans les racines.
Dernières venues : les Graminées (ou Poacées, dont le blé), progressivement dominantes depuis 40 millions d’années. Elles couvrent désormais 40 % des surfaces émergées et nourrissent les animaux et les humains depuis des millénaires. Avant même leur culture au Néolithique, autour du site paléontologique du lac Turkana (situé au Kenya et un peu en Éthiopie), les restes humains témoignent, à partir de – 3,3 millions d’années, de la consommation de Graminées (au lieu d’herbes et de produits des forêts), florissantes en raison de l’optimisation de leur photosynthèse pour s’adapter aux conditions chaudes et sèches des régions tropicales. Nous connaissons bien leur odeur de foin coupé, provenant en partie de la coumarine. Mais, en dehors du cishexénol, un signal d’alerte émis au moment de la coupe, notre nez d’humain est largement insensible à d’autres produits volatils.