De façon étonnante, à première vue, les organismes du sol mettent en œuvre toute une batterie de moyens de communication pour dialoguer entre eux, au sein d’une même espèce et entre espèces éloignées. Ils peuvent communiquer à des distances surprenantes dans un milieu solide, opaque et structuré comme le sol. Certains exemples ont fait l’objet de recherches de longue date, tandis que d’autres sont issus de découvertes récentes ou d’une recherche active aujourd’hui. C’est sans doute sur ce plan que nos connaissances sont les plus réduites face à la complexité du monde sensible qui peuple les sols.

Dialogues symbiotiques
Les organismes du sol ne communiquent pas seulement entre eux au sein d’une même espèce. La communication existe entre des organismes d’espèces différentes, voire très éloignées sur un plan phylogénétique, mais qui ont tout autant intérêt à communiquer pour interagir. Le dialogue moléculaire entre partenaires des symbioses végétales est sans doute celui qui a fait de longue date l’objet des recherches les plus approfondies. Il est désormais largement, décrypté. C’est le cas notamment du dialogue entre bactéries fixatrices d’azote et Fabacées.

La mise en place de cette symbiose, qui joue un rôle majeur dans le fonctionnement des écosystèmes terrestres, passe par un échange préalable de signaux moléculaires entre racine et bactéries. Sans cet échange, la formation de l’organe symbiotique (nodosité) n’est pas possible. Au départ, la racine laisse pénétrer la bactérie dans ses structures cellulaires via un de ses poils racinaires ; c’est le site de ce dialogue moléculaire qui permet à la plante de distinguer cette bactérie bénéfique de toute autre bactérie qui pourrait s’avérer pathogène, et détruirait ses tissus après y avoir pénétré.

Une autre symbiose plus ancienne dans l’évolution est la symbiose mycorhizienne, qui met également en œuvre tout un dialogue moléculaire entre la plante-hôte et les champignons mycorhiziens à arbuscules. Cette communication souterraine est aujourd’hui bien connue, et reconnue comme un exemple remarquable de coévolution entre microorganismes et végétaux supérieurs.

La nature est inventive et, parmi les signaux moléculaires émis par les plantes dans ce dialogue symbiotique avec les champignons mycorhiziens, figure une famille d’hormones végétales appelées « strigolactones ». Celles-ci stimulent l’émergence des hyphes mycéliens à partir des spores du champignon qui perçoivent ce signal. En stimulant l’élongation, voire la ramification de ces hyphes, ces hormones facilitent leur rencontre avec les racines. C’est à partir de cette rencontre, pas du tout fortuite, que se formera l’organe symbiotique qualifié de « mycorhize ».

Les autoroutes de la communication
Les racines, les mycorhizes ou les vers de terre peuvent être les vecteurs à longue distance de certains des signaux moléculaires qui circulent dans le sol. À ce titre, la rhizosphère a été qualifiée de belowground super highway (« autoroute souterraine »). Ces signaux sont ceux émis par les racines elles-mêmes dans la rhizosphère, ou par les vers de terre, mais aussi ceux émis par d’autres organismes qui n’ont pas la faculté de se mouvoir à longue distance, tels que de nombreux microorganismes : en transportant ces derniers, ou les molécules qu’ils ont émises dans le sol, le ver de terre est alors un simple messager. Le système racinaire peut tout aussi bien jouer ce rôle de vecteur de signaux moléculaires, de même que les mycorhizes et leur réseau d’hyphes qui se ramifient dans le sol.

Sending out an SOS
Les plantes ne se contentent pas de communiquer entre elles ou avec leurs symbiotes ! Un exemple remarquable d’échange de signaux moléculaires mis en évidence ces dernières années concerne les réponses de plantes à des agressions par des parasites : lorsque les racines de maïs se font attaquer par des larves de chrysomèle, elles émettent des signaux volatils qui sont perçus par des nématodes entomophages jusqu’à 10 cm des racines. Ceux-ci sont ainsi « recrutés » par le maïs dans le sol. Ils se déplacent alors vers les racines qui les ont appelés à la rescousse ; ils envahissent l’envahisseur, débarrassant efficacement le maïs des ravageurs de son système racinaire. Ces molécules servant de signal de détresse ont été identifiées et synthétisées à des fins de lutte contre la chrysomèle du maïs.

De tels processus sont connus au niveau des parties aériennes des végétaux. Ils font aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches dans ce domaine qu’on qualifie d’« écologie chimique ». Ce qui est notable ici, c’est que le maïs est capable de reconnaître la morsure de la larve de chrysomèle : si une racine est brisée artificiellement, comme cela a pu être testé en laboratoire, elle n’émettra pas de molécule d’appel au secours ! Cela signifie que la racine du maïs est capable de percevoir elle-même des composés émis par la larve lors de la morsure : la chrysomèle signe donc son arrêt de mort en mordant le maïs.

Des mécanismes mettant en jeu d’autres composés organiques volatils et un mode opératoire très similaire permettent à des plantes d’appeler au secours des bactéries du sol aux propriétés antifongiques, en cas d’attaque par des champignons pathogènes au niveau de leurs racines.

Cette signalétique sophistiquée à base de composés gazeux fait particulièrement sens dans le sol : des molécules non volatiles se propageraient plus difficilement dans un tel milieu. La palette des outils de communication développés par les organes souterrains des plantes et les organismes du sol est très large. Nous commençons à peine à en percevoir les vastes contours. De multiples composés non volatils figurant parmi les milliers de molécules des exsudats racinaires en font aussi assurément partie.