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Les abeilles à l'épreuve du changement climatique

Les prévisions des scientifiques

Si le changement climatique se traduit par un réchauffement dans la plupart des régions du monde, une espèce actuellement tropicale comme l’abeille naine (Apis florea) devrait modifier son aire de répartition vers le nord. -  © Vincent Albouy

Les perspectives annoncées de changement climatique interpellent tous ceux qui s’intéressent aux abeilles et aux problèmes qu’elles rencontrent. L’abeille domestique est une espèce qui a montré un grand potentiel d’adaptation puisqu’on la trouve presque partout dans le monde, sous des climats très différents et dans des environnements très variés comme les oasis du désert africain, les montagnes alpines, la bordure de la toundra ou les brumes anglaises. Mais bien des questions se posent sur son avenir.

Comment une modification rapide du climat modifiera la flore ? Que deviendront les abeilles adaptées à leur biotope si celui-ci doit être modifié rapidement par le climat ? Dans notre exemple, si la bruyère doit avancer ou reculer sa période de floraison, les abeilles en feront-elles de même ? Et de façon plus brutale, les modifications climatiques vont-elle faire disparaître des espèces végétales indispensables aux abeilles ? Ces espèces seront-elles remplacées par d’autres aussi intéressantes ?

Les estimations de changement climatique prévoient dans quelques décennies des bouleversements dans certaines régions du monde, avec une avancée des déserts, un recul de la calotte glacière, la fonte des neiges, une pluviométrie changeante et, en général, une fréquence accrue des épisodes climatiques extrêmes. Ces changements auront sans doute un impact sur la survie de ces écotypes ou ces races d’abeilles qui sont liées fortement à leur environnement

Migrations et modifications de leur cycle de vie et de leurs comportements pourraient leur permettre de survivre dans de nouveaux biotopes. C’est sur la variabilité génétique de l’abeille que l’adaptation aura prise, d’où l’intérêt de veiller à conserver cette variabilité. Les abeilles devront aussi s’adapter au cortège de prédateurs, parasites et pathogènes qui les entourent. Non seulement les relations entre hôtes et parasites seront modifiées, mais aussi les transferts de pathogènes entre espèces d’abeilles, facilités par les échanges commerciaux, feront apparaître de nouveaux stress auxquels les abeilles auront à faire face. 

Dans ce contexte, le changement climatique peut conduire à de nouvelles opportunités d’établissement des populations d’abeilles dans des régions ou des habitats jusque-là insoupçonnés mais aussi de nouvelles opportunités pour les agents pathogènes de s’installer sur de nouvelles populations d’abeilles. 

Les différences de traits d’histoire de vie de l’abeille en rapport avec les températures et l’environnement, montrent une variabilité génétique de l’espèce pouvant donner prise à la sélection de cycles de développement ajustés à de nouvelles conditions environnementales. Reste la question de la vitesse du changement climatique par rapport à celle de l’adaptation des abeilles ! 

 

Impact du changement climatique sur la distribution de l’abeille

L’impact du changement climatique sur les abeilles peut s’envisager à plusieurs niveaux. Il peut agir directement sur leurs comportements et leur physiologie. Il peut modifier la qualité de l’environnement floral et augmenter, ou réduire, les capacités de récoltes et de développement des colonies. Il peut définir de nouvelles aires de répartition des abeilles et entraîner de nouveaux rapports de compétition entre espèces et races d’abeilles, ainsi qu’entre leurs parasites et pathogènes. De même, les apiculteurs pourront se voir obligés de modifier leurs méthodes apicoles, favorisant l’exploitation de nouvelles aires de butinage et l’importation de races étrangères pour en tester la valeur dans de nouveaux environnements.

Les abeilles ajustent leur comportement aux conditions météorologiques. Elles ne sortent pas lorsqu’il pleut, et par grosse chaleur vont récolter de l’eau et ventilent la colonie. Une modification du climat aura donc un impact direct sur ce type de comportement

L’abeille domestique possède le potentiel génétique nécessaire pour s’adapter à des climats hostiles. Ainsi, on trouve ces abeilles des pays froids du Nord de l’Europe, comme la Suède, jusqu’aux régions chaudes et désertiques d’Afrique. L’abeille du Sahara (Apis m. sahariensis) est ainsi parfaitement adaptée aux floraisons locales (palmiers…) et aux fortes chaleurs des oasis du Sahara. Aux États-Unis, des abeilles domestiques vivent dans le désert d’Arizona à la condition qu’elles puissent trouver de l’eau en quantité suffisante pour élever les larves et thermoréguler le couvain entre 34 et 35 °C. En milieu très aride, les fleurs du désert ne sont pas toujours suffisantes pour assurer leurs besoins en eau et les abeilles disparaissent. 

Les prévisions du changement climatique envisagent un assèchement des régions désertiques et donc la disparition des oasis et de leurs abeilles. Il est peu probable que la migration de l’abeille du Sahara vers des zones désertiques plus favorables se fasse naturellement, puisque les oasis sont des espaces très isolés qui ne permettent pas, a priori, la migration ou l’essaimage à longue distance. Il faut donc envisager des mesures de conservation pour transférer cette abeille vers des zones favorables à son développement, sous peine de voir disparaître cet écotype qui constitue une richesse pour la biodiversité.

 

Le cycle de développement de l’abeille à l’épreuve du changement climatique

Il est indéniable que chaque race d’abeilles possède son propre rythme de développement. Ainsi, toute modification du climat ou tout déplacement d’abeilles d’une race géographique vers un lieu où elle est étrangère peut avoir des conséquences mesurables

Dans les régions froides, les abeilles passent l’hiver en grappe et utilisent leurs réserves énergétiques de miel pour survivre jusqu’au printemps. La capacité des abeilles à accumuler les réserves énergétiques et à gérer le développement de la colonie constitue une pression adaptative très importante

Au printemps, lorsque la température devient plus clémente, la reine commence à pondre, la colonie se développe et augmente la taille de la population d’ouvrières. Peut alors survenir une période de froid de plusieurs semaines pendant laquelle les abeilles ne vont pas pouvoir récolter. Si la population d’abeilles est trop importante, les réserves de miel sont consommées rapidement et s’épuisent au point que la colonie peut mourir de faim. 

C’est ce qui arrive facilement aux abeilles hybrides qui se développent très vite au printemps. Par contre, les écotypes locaux, mieux adaptés aux conditions environnementales, sont plus « prudents » et se développent plus lentement au printemps jusqu’à cette période de froid à l’issue de laquelle ils se reproduisent très vite. Cette stratégie ne met pas en péril la survie de la colonie.  Il faut donc distinguer les écotypes locaux, qui doivent ajuster leur développement et leurs réserves au climat, des abeilles hybrides sélectionnées par les apiculteurs. Chez ces dernières, la reine n’ajuste pas la ponte et les ouvrières l’élevage des larves, si bien qu’elles ne peuvent survivre sans l’aide de l’apiculteur qui, en cas de disette, doit leur fournir du sirop de sucre à volonté. Heureusement, il existe une plasticité et une variabilité génétique pouvant donner prise à la sélection de cycles de développement ajustés à de nouvelles conditions climatiques.

 

La réserve de miel est l’assurance-vie de la colonie face aux aléas climatiques. - © Vincent Albouy

 

Nos abeilles en péril

Vincent Albouy, Yves Le Conte

 

 

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