Longtemps mal connues par manque de matériel fossile, les modalités d’apparition puis d’évolution du vol nous sont maintenant accessibles grâce à un exceptionnel florilège de fossiles de dinosaures à plumes et de théropodes, ancêtres des oiseaux, dont la plupart ont été récemment découverts en Chine. S’ajoute à ces documents une intense activité de recherche fondée sur la modélisation et l’aérodynamique.
L’acquisition du vol impliqua des transformations en profondeur de l’organisme ,à commencer par la masse corporelle qui, de plusieurs dizaines de kilogrammes chez les premiers théropodes, dut se réduire à moins de 20 kg, poids maximal que peuvent atteindre les oiseaux volants actuels. La lente évolution qui devait conduire à l’aptitude au vol entraîna de profondes transformations du squelette, notamment des membres antérieurs et postérieurs. La ceinture pectorale devint plus grande et plus rigide, le tronc plus compact, le membre antérieur s’allongea, se solidifia, et de nombreux éléments osseux fusionnèrent en un puissant carpométacarpe, tandis que la fonction préhensile de doigts pourvus de griffes disparut.
Toutes ces transformations émergèrent avant l’apparition des ailes proprement dites, mais permirent à l’organisme de courir en agitant le membre antérieur muni de « proto‑plumes » qui l’assistaient pour grimper le long des arbres ou planer d’arbre en arbre. Quant au membre postérieur, les éléments de la ceinture pelvienne fusionnèrent ou disparurent, la queue disparut et se contracta peu à peu en un élément osseux, le pygostyle, sur lequel s’implantèrent les rectrices. Toutes ces modifications déplacèrent le centre de gravité de l’organisme qui se positionna sous l’implantation des ailes sur la ceinture pectorale, assurant l’équilibre de l’organisme quand il vole. Les petits ancêtres dinosauriens des oiseaux étaient déjà préadaptés au vol actif, même si la première fonction de leurs plumes était probablement surtout d’assurer l’isolation thermique.
De nombreux fossiles illustrent l’évolution du plan d’ensemble du corps d’animaux qui, à partir d’une lignée de petits théropodes, allaient donner naissance aux oiseaux. Bipèdes coureurs pourvus d’une longue queue et de membres antérieurs réduits, mais de membres postérieurs robustes, ils étaient adaptés à la marche et à la course. Les caractères spécifiquement aviens dérivèrent progressivement de ces formes ancestrales en acquérant des plans d’organisation qui s’orientent vers des oiseaux volants : le squelette se contracte, des proto‑plumes puis de vraies plumes apparaissent, la distribution des masses musculaires ,notamment celles qui produisent le vol, se modifie. L’appareil squeletto‑musculaire en particulier entreprend une évolution spectaculaire, avec un élargissement des ceintures pelvienne et pectorale, un allongement des membres antérieurs, une réduction des membres postérieurs et l’apparition d’un puissant bréchet sur lequel s’insèrent les muscles du vol, pectoral et supra‑coracoïde.
Quant aux mécanismes impliqués dans le développement du vol, la modélisation des mouvements des pièces osseuses fossiles est riche d’enseignements sur l’émergence et l’évolution du vol. L’exercice consiste à déduire les attributs fonctionnels de formes morphologiques éteintes en explorant le mode de fonctionnement de formes semblables, qu’elles soient analogues ou homologues, chez les organismes actuels. C’est encore l’analyse phylogénétique des taxons jalonnant la longue lignée théropodes‑oiseaux, assortie de modèles mathématiques, de simulations numériques et de manipulations physiques de matériel fossile, qui donne les meilleures indications sur les changements évolutifs nécessaires au vol. Ces modifications sont intervenues dans la morphologie du squelette, la réduction de la queue qui se contracte en un pygostyle, l’évolution des plumes, la taille corporelle et la distribution des masses musculaires. en outre, les trajectoires ontogéniques des organismes volants actuels offrent souvent de bons outils pour explorer quantitativement les formes et fonctions de stades transitionnels entre structures fossiles et actuelles.
L’apparition et l’évolution d’un déplacement actif dans l’air nécessitant une force propulsive (battements d’ailes chez les oiseaux produisant le même effet que le système propulsif motorisé d’un avion), un tel dispositif n’est apparu que rarement dans l’histoire évolutive des vertébrés. Cela tient sans doute à la difficulté de vaincre la force de gravité et la résistance à l’air, de dégager des forces nécessaires à la propulsion et de développer un système de pilotage sans que tout cela entraîne un poids excessif. Autant d’exigences physiques qui nécessitent un squelette robuste tout en restant aussi léger que possible. Pourtant, les archives fossiles contiennent d’innombrables organismes volants dont beaucoup sont plus ou moins apparentés aux formes actuellement vivantes d’oiseaux, de chauves‑souris et même de poissons volants. On a même identifié plusieurs espèces de dinosaures ou d’organismes apparentés aux dinosaures qui étaient dotés de structures volantes inconnues dans le monde actuel, telles que des ailes en forme de deltaplane, d’avion biplan ou d’organismes à ailes verticales.
Malgré la richesse et la qualité des archives fossiles, l’origine même du vol des oiseaux reste discutée : le vol proprement dit fut‑il acquis par une amélioration progressive de mouvements de bas en haut de l’aile à partir de sauts de plus en plus hauts et de mieux en mieux contrôlés, accompagnés de battements d’ailes d’abord maladroits, puis se perfectionnant peu à peu ? Ou fut‑il acquis à partir de chutes de mieux en mieux contrôlées à partir des arbres et aboutissant finalement au vol battu ? Comme ce dernier mode de déplacement implique nécessairement que l’organisme remonte dans les arbres après être descendu au sol, on peut imaginer que la combinaison de battements d’aile et de progression en grimpant le long du tronc intègre les deux hypothèses. Un analogue moderne pourrait être le kakapo (Strigops habroptila), ou perroquet hibou endémique de Nouvelle‑Zélande. Cet oiseau nocturne est le seul perroquet non volant, mais c’est un excellent grimpeur qui peut monter à la cime des arbres, puis se laisser tomber en « parachute » en déployant ses ailes rudimentaires, comme le firent certainement beaucoup de ses lointains ancêtres.
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